Il y a un trou dans ma vie. Un vide. Un manque. La mort de Debbie c'est un basculement de ma realite dans une autre realite qui est devenue la mienne. La mort de Debbie a genere des remous... Je ne reconnais plus tout a fait ma vie, car elle n'est plus la meme. Je n'y suis pas encore adaptee, et je dois admettre que je resiste, que je n'ai pas envie de m'y adapter. Pas deja, pas tout de suite. Sans doute parce que cela signifierait accepter l'inacceptable : la mort d’une personne que j’aime. Je n'ai pas tout a fait accepte, c'est ca.
Je ne me reconnais plus tout a fait non plus. Car ce que j’ai vecu m’a changee.
Mes relations a autrui ont, par ricochet, ete affectees par ces changements. Et notemment ma relation a Sophie. Ma copine de toujours, celle qui refuse qu’on parle de nous deux en disant « meilleure amie ». On se connait depuis presque 20 ans. On en a partage des fou-rires, des betises, des larmes, des confidences... On a partage tant de moments… Mais voila, il y a eu les longs mois de la maladie de Debbie, ces mois ou je lui ai donne presque tout mon temps libre. Et puis il y a eu les semaines qui ont suivi sa mort, ces semaines ou, si on ne venait pas me chercher, je n'allais vers personne car j'avais mal, et tout ce qui etait etranger a Debbie m’etait insupportable. Il y a eu enfin ces dernieres semaines, celles qui ont suivi le retour de Dewey et Aurore des USA. Ces semaines je les leur ai totalement consacrees car, pour des raisons propres a chacun de nous, nous avions besoin les uns des autres. Depuis des mois donc je ne suis plus une "bonne" amie, ni pour Sophie, ni pour personne d'autre. Je vis un peu recluse, c’est vrai. C'est comme ca. Je sais que ca passera, meme si j'ignore quand ca passera. Et Sophie s’est sans doute sentie abandonnee.
Au cours de ce "voyage" avec Debbie et les siens, qui a dure 4 ans, j'ai change, et c’etait inevitable. Et ce changement est bien plus profond qu'il n'y parait car c'est aussi au cours de cette periode que j'ai dit oui a Jesus. Aujourd’hui, tout ce que je fais, j'essaie, avec les moyens qui sont les miens, de le faire en accord avec la vie et l'enseignement de Jesus. Parce que c’est en agissant ainsi que je suis le plus en accord avec moi-meme. Je n’y parviens pas toujours, mais j’essaie. Parmi ceux qui me sont proches, il n'y a pas de Chretiens, a part Debbie et les siens. Et ce n'est qu'avec Debbie que j'ai pu partager pleinement ce grand bouleversement qui m'arrivait, cette rencontre avec Dieu par Jesus.
Sophie que j’ai delaissee me fait des reproches. Alors, parce que j’esperais qu'elle comprendrait ce que j'ai traverse et traverse encore, je lui ai permis de lire mon blog. Sa reaction m'a etonnee et blessee. Elle a realise a quel point j'ai change. Et elle m’ecrit qu'elle ne me reconnait pas, que j'ai triche, menti sur ce que je suis. Non Sophie, je n'ai pas menti, je n'ai pas triche. J'ai essaye de te parler de mon cheminement spirituel, je t'ai dit que je participe activement au parcours Alpha, mais tu n'aimes pas que j'en parle, tu n'aimes pas les "bondieuseries". Je t’ai aussi beaucoup parle de Debbie, j'ai tente de t’amener a elle, et Debbie aussi l'a voulu, tu le sais bien. Mais tu as refuse, tu as eu peur. Et, comme j'ai respecte ton refus de Dieu, j'ai respecte ta peur du cancer et de la mort.
Oui je me suis eloignee. Mais je ne t’ai pas tenue a l’ecart, je ne t’ai pas empechee de me suivre, je t’ai au contraire invitee a le faire.
Tu m’ecris que tout est lourd avec moi. Sans doute tu as raison. Je porte ces tragedies que tu connais : les violences dont j’ai ete victime, la desertion de ma mere, l'assassinat de mon frere, la schizophrenie de mon pere, le cancer puis la mort tout recente de Debbie, la solitude, le manque d’amour... Tout cela et le reste, que tu sais parce que je te l’ai confie. Comment faire pour etre legere ? Je ne sais pas. Si seulement je savais... si seulement je pouvais deposer tout ce poids et trouver l'insouciance...! Je ne suis pas lourde par choix. Ce n’est pas une coquetterie intellectuelle. Je fais ce que je peux pour essayer de comprendre ce que je vis avec l’espoir de parvenir a le depasser. Je fais ce que je peux pour essayer de m’en sortir. Ne m'en fais pas reproche.
Si avec moi ce n’est pas leger, c’est aussi que je refuse de rester a la surface des choses. Je cherche a comprendre, cela m’aide a accepter. Tu sais cela, depuis longtemps. Et quand je sens qu’a ton tour tu ne vas pas bien, je ne peux pas te laisser dans ton mal-etre sans rien tenter. J’essaie de te faire parler, j’essaie de t’aider a trouver une issue. Mais jamais je ne te force. Je respecte ton choix quand tu choisis le silence. Je respecte tes pudeurs, et tes refus. Je ne t’agresse pas en voulant a tout prix te sauver. Je ne montre pas du doigt chacune de tes erreurs. Je ne condamne pas. Mais parce que tu es mon amie je ne peux pas ignorer que tu vas mal quand je le vois. Je t’en parle et te laisse decider si oui ou non tu veux en parler. Mais c’est vrai que je ne fais pas semblant de n’avoir rien vu. Alors oui, a ce titre, notre relation n’est pas une relation legere. Car, quoique tu fasses, je devine que derriere les apparences il y a tout ce qui n’est pas dit... Et je crois que dire aide.
Oui j’ai change. Et toi aussi tu as change. Mais nous avons change differemment l’une de l’autre. C’est comme ca. Ce n’est de la faute de personne. C’est comme ca, c’est tout. Ne nous en faisons pas grief.
Non je ne t’ai pas menti. Non je n’ai pas fait semblant d’etre quelque d’autre. J’ai change et tu ne t’en rends compte qu’aujourd’hui. C’est triste.
Non je ne t’ai pas trouve chiante. Non je ne pense pas que ta vie est une petite vie, que tes soucis sont des soucis de merde. Non je ne trouve pas que tes histoires sont des histoires a la con, non je ne considere pas tes angoisses comme des angoisses debiles. Tous ces mots ce sont les tiens, pas les miens.
Oui je veux toujours avoir raison. J’ai toujours ete comme ca, et c’est bien malgre moi.
Oui je suis sure de moi souvent. Trop parfois, comme pour compenser toutes ces annees ou je me vivais comme une moins que rien.
Mais tout cela tu le sais. Du moins je croyais que tu le savais.
Que tu me reproches d’etre ce que je suis me blesse profondement. Si tu me reproches quelque chose que je fais, alors je peux tenter de defaire, de refaire, de reparer. Mais je ne peux pas defaire, ni refaire, ni reparer ce que je suis. Ce que je suis resulte de ce que j’ai vecu et des choix que j’ai fait. Et meme si je le pouvais je ne reviendrais pas en arriere. Car je suis aujourd’hui bien plus en accord avec moi-meme que je ne l’ai jamais ete. La tristesse passera, diminuera avec le temps. C’est tout ce que je ne veux pas garder de ce chagement que tu as percu.
Je ne t’enverrai pas cette lettre. La tienne me fait me sentir condamnee d’avance. Si tu viens encore lire ce blog, alors tu la liras peut-etre. Elle a sa place ici parce qu’elle raconte l’un des remous que la mort de Debbie a souleve dans ma vie. Meme si au fond de moi je sais bien que sa mort n’a fait que reveler un changement qui s’est amorce il y a bien plus longtemps que ca.
J’ai du chagrin Sophie. Parce qu’il n’y a pas de solution. J’ai perdu Debbie. J’ai aujourd’hui le sentiment que je te perds.