DU PAIN POUR MON AME

25 septembre 2006

la lecon

Le chagrin ligote mon ame, la tient prisonniere. Mon Dieu m'attend les bras ouverts, je le sais, mais, l'ame ligotee, je ne peux repondre a son appel. Le chagrin ligote aussi mon coeur. Mes amis m'offrent leur soutien et leur presence mais je peux ni recevoir, ni repondre. Le chagrin m'isole.

Je ne supporte pas de devoir repondre aux questions de ceux qui cherchent a me connaitre ou veulent savoir comment je vais. Je ne supporte pas non plus ce qui les amuse, ni ce qui selon eux donne un sens a leur vie: leurs hobbies. Nous evoluons dans des mondes paralleles.
Je suis emprisonnee. De nouveau. J'ai pourtant si durement lutte pour etre libre. J'y etais parvenue. Je me sentais pousser des ailes, liberee de la peur et des faux-semblants, m'aimant enfin et faisant pour moi ce qu'un parent aimant fait pour son enfant bien aime.

La mort de Debbie m'a comme plombee, je ne m'y attendais pas. Vivre est plus douloureux maintenant qu'il y a quelques mois. Tout est pesant. Il me faut aller chercher loin au dedans de moi le desir de rester presente au monde. Il m'est si difficile d'etre en relation a l'autre, si difficile... J'ai besoin des autres pourtant. Besoin de tous ces petits signes qui disent l'affection. Besoin d'entendre une voix amie, de sentir se poser sur moi un regard bienveillant. Besoin de partager, d'echanger. Mais je n'y arrive pas. Quand on m'ecrit je me dis je vais repondre et je ne reponds pas ; quand on m'appelle je me dis je vais rappeler et je ne rappelle pas. Je n'appelle jamais la premiere bien sur. Ca n'a jamais ete facile a faire pour moi, a cause de ce qu'est mon histoire. Mais ca a rarement ete aussi difficile. Il y a les autres, et moi comme une mouche dans un bocal de verre qui voit le monde alentour mais ne parvient pas a sortir... J'ai un enorme besoin d'attention et d'affection mais c'est comme si je ne pouvais pas recevoir. Et le peu que je recois est comme une goutte d'eau dans le desert, ca s'evapore aussitot.

En ecrivant je realise que je veux recevoir mais je ne veux pas donner. Ou plus exactement je ne veux pas qu'on attende de moi quelque chose en retour. Et tout de suite je fais le lien avec Debbie. Je n'ai jamais rencontre quelqu'un qui donne autant et de maniere si desinteresse. Elle etait d'une generosite hors du commun. Elle donnait d'elle-meme. Elle donnait de son temps, elle ecoutait avec bienveillance. Elle avait toujours une petite attention pour chacun. Par exemple, elle possedait des dizaines de jolies cartes de correspondance et elle ecrivait souvent, quelques phrases gentilles qui allaient droit au coeur de ceux qui les recevaient. Elle a ainsi etabli une relation personnelle et particuliere avec chacun de ses oncologues, avec les kines, l'estheticienne, la marchande de presse, la maitresse d'ecole, le policier en retraite, ses collegues de travail, ses superieurs hierarchiques, ses amis de l'universite et ses professeurs... Tant de gens a qui elle s'est donnee et qu'elle a recus. Et j'ai eu ce bonheur-la. A sa mort des centaines de messages sont arrives, vraiment des centaines. La quantite m'impressionne parce que j'ai deja tellement de mal a prendre soin des 3 ou 4 relations qui comptent pour moi. Je n'ai jamais compris comment elle faisait pour donner autant et que son don soit toujours de cette qualite. Elle donnait et n'attendait rien en retour. C'est pour cela qu'elle recevait autant.

Je sais, je suis injuste : j'ai des amis formidables et qui m'aiment sincerement et que j'aime aussi. Je suis juste malheureuse.

Je me souviens... c'etait le 4 decembre dernier, un dimanche. J'avais passe la journee avec elle et les siens. Je ne peux pas oublier cette image. Elle portait un bonnet noir qui lui tombait sur les yeux, elle avait tres froid. Son visage emacie et ses traits trahissaient sa souffrance et son angoisse. Bien que reliee a une machine qui lui apportait de l'oxygene, elle respirait tres mal. Ses mains serraient les accoudoirs du fauteuil ou elle etait assise, elle tentait de garder le dos droit et loin du dossier car tout contact lui faisat mal. C'etait en fin de journée. Je devais rentrer chez moi car je travaillais le lendemain. J'aurais pu rester, ca n'aurait pas ete la premiere fois, mais je voulais rentrer, je n'en pouvais plus de tant de douleur. Je l'ai embrassee en faisant tres attention, j'aurais voulu la prendre dans mes bras, lui offrir ma chaleur, la bercer ; je n'osais plus la toucher. On aurait dit qu'a la place des os elle avait des morceaux de verre qui la blessaient de l'interieur. Je lui ai dit au revoir, et comme à chaque fois j'ai ajoute je reviens demain, mais tu sais que s'il y a quoique ce soit tu dois m'appeler et je viendrai tout de suite. Elle a fait oui de la tete. Ses narines etaient pincees. Sa peau etait sombre. Elle m'a regardee. J'etais accablee, terrassee. Alors, ses yeux accroches aux miens elle m'a dit dans un souffle "ne t'inquiete pas pour moi". J'ai repondu "je ne m'inquiete pas, j'ai mal pour toi. Je reviens demain. I love you". "I love you too" a-t-elle repondu. Ce sont les derniers mots que nous avons echange. Je ne suis pas revenue le lendemain, j'ai appele ; son etat etait stable, elle etait entouree. Elle est morte le surlendemain.
Debbie mourante lit ma detresse dans mon regard et me dit de ne pas m'inquieter.
C'est elle qui meurt et c'est elle qui me rassure.
C'est elle qui a besoin de reconfort et c'est elle qui reconforte.

23 septembre 2006

pas juste

Le bain - peinture de Dewey Franklin

Je suis vide. Vide et desorientee. Comme lorsque mon amour et moi nous sommes separes, il y a longtemps... Je reconnais ce que je ressens pour l'avoir deja ressenti. Je sais que je ne parviens pas encore a faire le deuil de Debbie. Cela fait presque 10 mois qu'elle est morte, il me semble que c'etait le mois dernier. Je porte en ma memoire les derniers mois de sa vie, ses derniers jours, ses dernieres heures de vivante, ses premieres heures de morte. Je ne m'en defais pas. C'est comme un habit que je porte. Un linceul. Une part de moi est morte avec elle. C'est toujours comme ca que ca se passe.

Je m'apercois que je suis en lutte, contre le chagrin. Je sais qu'il va me falloir du temps. Sans doute plus de temps que je croyais. Je m'etais dit qu'apres tout je n'avais perdu qu'une amie. Je ne me suis pas autorisee a etre malheureuse. Autour de moi je sentais bien aussi que ce chagrin-la ne trouvait pas de justification aux yeux des autres. Dewey et Aurore avaient le droit d'etre devastes car lui a perdu sa femme, son amour, et elle sa maman. Q'avais perdu, moi ? Une amie, c'est tout.

Eh bien non ! Ce n'est pas tout. J'aimais Debbie. Je l'aime. Il n'y pas de raison a cet amour. Il n'est pas suspect. Il n'a pas besoin d'etre justifie. Il est. C'est la banale et merveilleuse histoire d'une rencontre entre deux etres. Nous avons chemine cote a cote. Peu importe que nous n'ayons pas partage 20 ans de notre vie. Ce que nous avons partage nous l'avons partage. Je n'ai pas choisi de l'aimer. Je l'ai aimee. Je ne veux plus chercher a comprendre pourquoi je l'ai aimee. Ni pourquoi j'ai tant donne. Il s'agit maintenant d'accepter. Accepter qu'il m'ait ete donne de vivre une amitie telle que celle-ci, imparfaite, difficile, nourrissante, riche. Accepter que cette amitie ait eu une duree limitee dans le temps. Accepter que mon amie ait vecu, souffert, puis soit morte. Accepter que je l'ai perdue. Et qu'on ne me dise pas ce que je dois penser, ressentir ou faire. Debbie faisait partie de ma vie. Elle est morte. Et cela fait terriblement mal. Et je sais que ca me fera mal encore longtemps. Je ne veux pas entendre que ca passera. Je le sais.

Je ne veux pas entendre les pourquoi et les comment. Je ne comprends pas moi meme comment c'est arrive. On a mis du temps a s'aimer. J'ai mis du temps a l'aimer. Puis a accepter de me laisser aimer par elle. Et puis il est arrive un temps ou l'amour etait la. C'est tout. C'est comme ca. Nous n'avons rien calcule. J'ai fait ce que j'avais a faire, j'ai donne ce que j'avais a donner. J'ai recu ce qu'elle avait a donner. Je ne regrette rien. Si c'etait a refaire je le referais. Mieux encore si je pouvais. Et je pleurerais encore. C'est comme ca. Merde. J'en ai marre de vos interrogations steriles. Je ne peux pas expliquer ce qui s'est passe. Il n'y pas d'explication rationnelle. J'ai suivi mon coeur et ma conscience. En cela je suis en accord total avec moi-meme. Je vois bien que vous n'etes pas en accord avec moi, et cla vous regarde ; je ne peux rien pour vous. Je ne veux plus me poser vos question et tenter d'y trouver des reponses. Si ce que j'ai fait est anormal a vos yeux, essayez de changer votre regard. Ce n'est pas parce que vous n'auriez pas fait les choses comme je les ai faites, ce n'est pas parce que vous ne seriez pas alle aussi loin que moi, que je dois tenter de trouver ce qu'il y a de pathologique dans ce don et tenter d'y remedier.

Je ne te fais pas plus belle que tu n'es. Je t'ai approchee d'assez pres pour t'avoir vue telle que tu es, humaine, comme nous tous, pleine de defauts qui oh combien m'ont agacee. Je ne les oublie pas ces defauts. Je ne veux pas les oublier, ce serait te deshumaniser ; ce serait te perdre. Je me sens pourtant comme une elue... tu sais ce que je veux dire... Debbie, ma Debbie, mon amie, mon ange. C'est pas juste. C'est pas juste.


06 septembre 2006

comme une reponse

Depuis la mort de Debbie je suis en crise. Crise de Foi, crise de confiance, en Dieu, en moi. Cette mort c'est comme une lame de fond qui n'en fini pas de deferler a l'interieur de moi-meme entrainant avec elle une paix durement acquise et des certitudes encore fragiles ; mettant a nu mes failles, mes peurs ; m'entrainant avec elle en somme. Parfois je resiste et je me fais mal, parfois je lache prise et alors j'ai peur d'etre engloutie. Je parle a Dieu ; tantot a voix basse, tantot en criant. Mais je lui parle. Et parfois, par des chemins inattendus qui toujours provoquent en moi un etat de quasi stupeur, j'entends comme une reponse qui, parce qu'elle "colle" si parfaitement a ce que je ressens, semble n'etre qu'a moi destinee, et m'arrete net, et me fait reflechir.
Aujourd'hui j'ai decouvert ce texte ecrit par Ardente Patience.
Je sais bien qu'elle ne l'a pas ecrit pour moi, mais je le recois. Je le recois avec beaucoup d'emotion.
Pardon Ardente, je sais que tu as ferme les commentaires sur ton blog, et je comprends tellement bien pourquoi tu l'as fait. Je respecte ta profonde sensibilite. Mais voila, tes mots me rejoignent, et il me faut me les approprier...

Voici :

"
On a tous quelque part en soi un endroit qui fait mal
qu’on n’aime pas voir pas regarder sans pouvoir sans détacher
on a tous fait des choses qui ne nous plaisent pas
qui ne sont pas belles à nos yeux
on a tous des raisons de ne pas s’aimer
de sombrer en soi, impuissant, vaincu et résigné
tout seul on s’en sort pas
s’il n’y a pas une putain de sensation merveilleuse filée en soi
une seule parmi tous les coups
on n’y arrive pas tout seul à s’aimer
ça ne suffit pas
qu’est-ce qu’on fait alors ?
Imagine … pas de sens pas de but pas de force pas d’animation
quand t’en arrives à plus avoir envie de vivre
- je parle sans savoir …-
qu’est-ce que je peux te dire ?
Attend, espère, continue, rêve ?
non
je ne dis rien
je me souviens j’imagine que tu es heureuse
d’être si belle
même si tu ne le sens pas

tu es si belle
aucun garçon ne te l’a dit
aucun homme

tu ne me croiras pas
tu restes dans le noir

un jour tu verras "

Encore une fois, un merci tres doux me monte du coeur.