Chez moi tout le monde est baptise, melange de respect de la tradition et de superstition. Chez moi on est catholiques par tradition. Seule ma grand-mere maternelle l'etait par conviction, enfin je crois. Mon pere l'est aussi, mais il me semble qu'il ne l'a pas toujours ete, et comme il est malade je ne parviens pas a demeler ce qui chez lui releve de la foi et ce qui releve du delire. Ma mere quand a elle a ete catholique, puis temoin de jehova, puis mormon, ce qu'elle est toujours depuis environ 20 ans. A sa maniere elle est donc croyante, mais comme elle est partie quand j'avais 5 ans ses choix n'ont eu aucune influence sur notre education religieuse, ormis celle de nous premunir contre toute tentative d'evangelisation de sa part.
Ma grand-mere maternelle nous a eleves, avec mon pere chez qui est elle venue vivre quand j'avais 7 ans. Je sais c'est bizarre, mais c'est ainsi. A cette epoque je crois que mon pere ne croyait pas, ou en tout cas s'il etait croyant sa vie d'alors etait tres loin de ressembler a ce qu'on m'enseignait et que lui de toute facon ne nous enseignait pas. On ne peut pas dire qu'il ait ete un exemple. Ma grand-mere en revanche etait croyante et essayait de mettre en pratique dans sa vie (donc dans la notre) les enseignements de l'Eglise. Elle avait un petit missel de cuir brun, un chapelet de pierres noires, une petite vierge phosphorescente qui diffusait une faible lueur verdatre dans l'obscurite, une autre en plastique transparent qui venait de Lourdes et qui contenait de l'eau benite ; elle avait aussi plein d'images pieuses qu'aujourd'hui je trouve naives. Tous ces objets laissaient les enfants indifferents, sauf moi. Je ne savais pas pourquoi, mais moi je les aimais bien ces objets et je les traitaient avec une sorte de respect un peu craintif comme celui que l'on eprouve a l'egard d'une institutrice severe mais bienveillante.
Nous avons fait toute notre scolarite, jusqu'au bac, dans des ecoles privees, donc catholiques. Enfant j'aimais le catechisme, meme si je detestais la confession parce que j'avais peur que le cure me punisse ou meme me batte pour les betises que je lui confessais - il ne me serait pas venu a l'idee de ne pas dire la verite a la confession, bien qu'a la reflexion j'avais du mal a me trouver des peches ! J'aimais bien les soeurs avec leur voiles blancs qui dansaient sur leurs epaules quand elles marchaient. J'aimais le silence des couvents ou il nous arrivait quelques fois de nous rendre pour une retraite, ce silence un peu creux ou les sandales des soeurs chuchotaient sur les dalles des couloirs, ou resonnaient les bruits des cuisines au moment ou se preparaient les repas. J'aimais ce silence que rompaient les chants lithurgiques, ces voix de femmes qui enflaient comme une voile et repoussaient alors les murs de la chapelle. J'aimais l'odeur de cire et d'encens des eglises, la lumiere tamisee par les vitraux, l'idee que Jesus etait present dans la petite lampe rouge et me regardait avec amour. Je voulais croire qu'au ciel il y avait Dieu le Pere, avec a cote de Lui Jesus son fils, et tout autour tous les saints, tous les anges, et Marie. Je voulais croire a la vie eternelle, a l'amour sans fin, au paradis. Je refusais de croire a l'enfer. L'enfer j'y etais deja, il ne pouvait pas etre ailleurs.
Des annees plus tard. Des annees de violence, d'humiliation, de peur. Des annees d'appels au secour jamais entendus. Des annees d'espoirs vains. Des annees de supplications inutiles a genoux dans des eglises, au pied des croix dressees au bord des routes, ou dans le secret de mon coeur. Des annees a etre une victime impuissante et terrifiee. Des annes plus tard, donc, il ne me restait de Dieu qu'une idee vague. Nous avions subi 18 ans de maltraitance et personne ne nous avait sortis de la. Je demarrais ma vie d'adulte en prenant la fuite, sans argent, sans bagages, sans formation, sans anour. Sans Dieu.
Et puis mon frere s'est fait assassiner. Et puis ma grand-mere est morte. Alors Dieu dans tout ca, il n'etait plus vraiment ma priorite. Et il y avait belle lurette que j'avais cesse de lui faire confiance. Je ne gardais de ma rencontre avec lui, au temps de mon enfance, qu'amertume et rancoeur. Des soeurs a qui desormais j'attribuais le qualificatif de "bonnes" - et ce n'etait pas un compliment - je ne conservais que le souvenir cuisant de la regle de fer s'abattant impitoyablement sur mes doigts, que la severite qu'elles appliquaient a notre education. Des eglises je ne conservais que le long ennui des messes dominicales auxquelles je devais assister et auxquelles je ne comprenais rien. Des images pieuses ne me restaient que le sentiment d'avoir ete trahie car aucune des promesses qu'elles contenaient n'avaient ete tenue. J'avais oublie l'emerveillement et la joie.
Les annees ont passe. Lentement, laborieusement je tentais de devenir une adulte autonome et stable. Je cherchais l'amour, mais ne le trouvais pas. J'ai ete utilisee, manipulee, salie, et je n'ai pas su me defendre. Et de blessures en desillusions j'ai vieilli. Pourtant au milieu du chaos qu'etait ma vie, il y a eu des moments de grande paix et de joie profonde. Je me souviens notamment de ce jour de l'ete 1989. J'habitais alors Dijon. Ce jour-la il faisait beau, et comme je ne travaillais pas j'etais allee me promener au bord du lac. J'aimais beaucoup cet endroit paisible et j'y venais souvent. Je me suis assise sur un banc et j'ai regarde les cygnes glisser sur la surface de l'eau sans presque la deranger. Et je me suis mise a penser que ce serait magnifique si l'un d'eux pouvait se mettre a chanter. J'imaginais que le chant du cygne devait etre forcement rare ! Et a cet instant precis, l'un d'eux a pris son envol, lourd et gracieux a la fois, et il s'est mis a chanter. J'en suis restee petrifiee. La coincidence etait tellement improbable, tellement incroyable ! Alors, du fond des tenebres de mon rejet de Dieu, un merci tremblant m'est venu au coeur. Bouleversee, j'ai recu ce chant comme un cadeau. Mais un cadeau de qui ? Et pourquoi ? Et si au fond ce n'etait q'une coincidence ? Je n'ai rien "fait" de cet evenement. Mais je peux dire aujourd'hui qu'une breche s'etait ouverte en moi.
Il m'a fallu encore des annees de cheminement avant de pouvoir m'adresser a Dieu et lui dire mon amour. Des annees emaillees de rencontres qui m'ont marquee, qu'aujourd'hui je qualifie de signes, mais dont alors, ne sachant qu'en faire, je ne faisais rien. Elles me touchaient ces rencontres, me "travaillaient" a mon insu. Mais j'avais tellement souffert que je pouvais plus croire aux promesses des evangiles. On m'avait gifle a la joue droite, j'avais tendu la gauche et on m'avait giflee de nouveau, et j'etais restee la, blessee, humiliee, sans defense. Alors les bondieuseries non merci, ce n'etait pas pour moi. Pourtant Marthe Robin a fait irruption dans ma vie et ce fut un grand chamboulement interieur. Pourtant j'ai chemine aux cotes de Debbie qui vivait avec Dieu une relation personnelle profonde que ni la maladie ni la mort n'ont mise a mal. Pourtant j'ai suivi un cours Alpha et j'ai pleure pendant des heures lorsque j'ai rencontre l'Esprit Saint. Les annees passaient et je tenais toujours Dieu a distance. Malgre des evidences que je ne pouvais nier sous peine de me devoir mettre en doute mes propres facultes mentales et intellectuelles !
Alors j'ai commence a me poser des questions, a vouloir trouver des reponses. Parce que j'etais si proche de Debbie, j'ai ete temoin pendant 5 ans de sa vie de chretienne. J'ai vu la facon dont elle priait et j'ai prie avec elle. Debbie et les siens etant protestants, j'ai assiste au culte, entendu les sermons, constate leur intimite avec la bible, chante et loue Dieu avec eux. J'ai pris conscience de l'etendue de mes barrieres, et de leur solidite. J'ai compris que ces barrieres c'etait moi qui les avais edifiees. Que si j'etais prisonniere c'etait de mon fait et que par consequent moi seule pouvais me liberer. J'ai compris qu'en arretant d'etre dans le refus, dans la lutte continuelle que je menais pour ne pas laisser Dieu m'approcher et ne pas trop m'approcher de lui, je me condamnais a l'aridite. Car la lutte est aride. Dieu etait la clef. Il ne me restait qu'a la prendre et ouvrir les portes. Ce que j'ai fait. C'est alors que s'est posee a moi la question de l'Eglise. Je voulais bien de Dieu mais pas de l'Eglise. Aujourd'hui je n'ai pas encore totalement compris les raisons de ce rejet. Elles sont multiples et complexes. Mais mon rejet est vivace et tenace.
Apres la mort de Debbie, j'ai peu a peu perdu ma joie toute recente. J'ai perdu la confiance. J'ai perdu l'Esperance. Je viens de traverser une longue periode de colere, de doute, de douleur. Ne trouvant pas en Dieu l'apaisement dont j'avais un besoin immediat, je l'ai delaisse. Il est redevenu une abstraction lointaine, pour un temps qui m'a semble vraiment tres long mais qui n'a en realite dure que quelques mois. Recemment j'ai de nouveau eprouve le besoin et le desir de Lui. Mais je ne voulais pas retourner aupres de ceux qui pourtant, depuis un an que Debbie est morte, me disent de loin en loin leur affection et leur soutien, et qui respectent la distance et le silence que je mets entre nous. Je ne voulais pas retourner aupres d'eux car ils sont catholiques. Je ne voulais pas renouer avec les catholiques car je pensais qu'ils etaient bien loin du message que le Christ est venu nous donner, empetres qu'ils sont dans une hierarchie lourde, des rites seculaires dont ils ont presque oublie le sens, des objets de cultes qu'ils sacralisent et venerent presque, une ribambelle de saints qu'ils prient a tout bout de champ et qui font un pantheon a mes yeux inacceptable. Je refusais les catholiques parce qu'ils ont reponse a tout, un conseil pour chaque situation : "prie untel tu auras telle chose" et cela m'horripile. Je refusais les catholiques, car sans toujours le formuler expressement, ils arrivent a vous faire comprendre que tout ce qui n'est pas catholique est heretique - et Debbie et Dewey ne sont pas catholiques, pire ils appartiennent a une eglise qu'en France on connait mal et dont de fait on se demande si elle n'est pas une secte. Si c'etait une secte, au bout de 13 ans d'amitie je le saurais n'est-ce pas ?! Enfin, je me disais que l'Eglise catholique est mal en point, qu'il y a des vers dans ses fruits, la preuve : les eglises se vident inexorablement.
Mais voila, j'ai besoin d'une eglise. Toute seule je ne tiens pas. J'ai besoin de prier avec d'autres, de partager, de pouvoir poser mes questions et de recevoir les reponses des autres croyants. J'ai besoin d'entendre la parole de Dieu donnee par d'autres qui la connaissent bien mieux que moi car ils l'ont etudiee pendant des annees. Enfin, j'ai besoin des autres, leur temoignage m'est essentiel pour avancer.
Il y a un peu plus de 3 ans, Debbie, sentant que je tatonnais, que j'etais en demande mais que je refusais d'aller a la rencontre de mon ancienne "famille" (catholique), de meme que je refusais de l'accompagner dans la sienne (protestante) - qui de toute facon est a presque 2 heures de route de chez moi, a cherche dans l'annuaire, et trouve, sur la ville ou j'habite, une petite communaute protestante appelee La Vigne. A son arrivee en France 20 ans plus tot, elle avait un temps frequente cette communaute dont elle aimait la facon de celebrer le Christ. Elle savait que si elle me donnait leur numero je n'appellerais pas. Elle a donc appele pour moi. Une jeune femme, americaine elle aussi, a repondu et elles ont bavarde un moment. Quand elle a raccroche, Debbie etait tres enthousiaste pour moi, elle ne doutait pas que cette fois j'allais enfin faire un pas en direction du Christ. Peu lui importait que je le fasse chez les catholiques ou chez les protestants, ce qui comptait c'etait que je le fasse ! Mais je n'ai rien fait. Jusqu'a ce que, ce que j'appelais alors le hasard - et que je reconnais aujourd'hui comme etant la main de Dieu - me conduise, encore un an plus tard, au cours Alpha de la paroisse catholique pres de chez moi. J'ai lache prise et Dieu m'a cueillie pour mon plus grand bonheur. J'ai fait un parcours, puis je me suis engagee au service, j'ai donne mon temoignage, j'ai accompagne des recommencants comme moi pendant pres de 2 ans. Mais pour autant je ne me sentais pas appartenir a l'Eglise catholique dont je restais en marge. Il etait inutile que je mente a moi meme : mon engagement etait loin d'etre total. Et je savais bien que Dieu nous demande de nous donner a lui sans reserve. La mort de Debbie je l'ai dit a fragilise ce lien a Dieu qui de toute facon n'etait pas tres solide.
Lorsqu'il y a quelques temps j'ai de nouveau ressenti le besoin et le desir de Dieu, je ne suis donc pas retournee voir les catholiques, je ne suis pas retournee a la messe, je n'ai pas repris contact avec mes amis du parcours Alpha de ma paroisse. Non. Lorsque j'ai eprouve le besoin pressant de "faire eglise", j'ai repense a un petit groupe dont m'avait parle un jour un autre de mes amis. Je me suis jetee a l'eau un dimanche, il y a 2 semaines, bravant ma timidite, depassant ma difficulte a me lever tot, j'ai rejoint D. et nous sommes alles dans un petit bar pres de l'universite. La boucle etait bouclee : j'etais dans la communaute protestante de La Vigne, j'ai fait la connaissance d'Andrea a qui Debbie avait parle au telephone 3 ans plus tot et qui se souvenait tres bien de cette unique convesation qu'elles ont eue ! Que de detours pour en arriver la ! Comme ils n'ont pas de moyens financiers ils se reunissent dans le seul local qu'on a bien voulu mettre gracieusement a leur disposition : un bar. Drole d'impression. Mais le pasteur est formidable, son sermon intelligent et tres bien argumente, s'appuie solidement sur la bible. Le petit nombre de fideles favorise la prise de contacts. La parole circule librement, meme pendant l'office ou il est demande a ceux qui le souhaitent de s'exprimer sur les textes du jour, ou de poser les questions qu'ils souhaitent poser. Bref, cette petite eglise a tout pour me plaire ! A tel point qu'apres deux semaines je dis a Dewey que pour la premiere fois j'envisage serieusement de changer d'Eglise, de catholique par tradition je pourrais bien devenir protestante par choix.
Je participe avec les autre femmes de La Vigne a une etude biblique et je dois admettre que leur connaissance des textes m'impressionne. Ce matin nous avions rendez-vous pour notre seconde seance. Nous travaillons sur l'Apocalypse, un texte passionnant mais difficile. Dewey m'a dit que pour l'apprehender il est bien de le rattacher a un texte de l'Ancien Testament : Daniel. Je n'ai pas d'Ancien Testament. J'ai bien une bible mais elle est en anglais, et la c'est un peu trop difficile. L'autre bible que j'ai est une traduction de Lemaitre de Sacy, dans un francais du XVIIe siecle qui s'il fait son effet dans une bibliotheque, ne m'est d'aucune aide pour une etude biblique. Hier je decide donc qu'il est temps de m'acheter une bible, non seulement pour pouvoir prepaper l'etude du lendemain mais aussi parce que j'eprouve soudain le besoin inexplicable et difficilement maitrisable de lire la bible. Comme, pres de mon bureau, il y a une librairie evangelique ,je decide d'aller y chercher une bible. Au moins la il n'y aura pas de bible catholique ! Mais la librairie est fermee. Il me faut pourtant une bible, et tout de suite car je veux travailler sur l'Apocalypse ce soir avant d'aller demain a l'etude. Je me resouds donc a tenter ma chance du cote de La Procure, la librairie catholique. Elle est ouverte. J'y etais deja allee mais je n'y avais pas trouve l'accueil tres engageant. Il n'y pas presque personne et l'homme qui me recoit est tres ouvert et chaleureux. Il me montre les differentes bibles qu'il a en rayon et m'oriente vers la Tob, une bible oecumenique realisee par des catholiques et des protestants ! Je me dis que celle-la est pour moi, j'y vois un signe bien sur ! Nous conversons un moment et, je ne sais toujours pas pourquoi, il me parle d'un livre qu'il a lu recemment et qui lui a beaucoup plu : Rome Sweet Home de Scott et Kimberly Hahn. Je repars avec contre mon coeur tout joyeux ma grosse bible et ce petit livre.
Je suis en train de lire Rome Sweet Home. En fait je le devore. Il retrace le parcours etonnant d'un pasteur protestant et de sa femme qui se sont convertis au catholicisme (!) et qui racontent avec une grande honnetete leur cheminement et leurs tribulations avant d'en arriver la. Et plus je le lis, plus je comprends mes doutes, mes reticences, mes blocages. A l'heure ou j'ecris ces lignes je ne peux m'empecher de penser que Dieu est vraiment formidable ! J'ai fait bien des detours, j'ai beaucoup hesite, j'ai failli tourner les talons a mon Eglise, celle ou j'ai fait mes premiers pas de chretienne, vecu mes premieres joies en compagnie de Jesus Christ. Et au moment ou je m'appretais a m'en eloigner veritablement, une fois de plus, le Seigneur me rattrape et me montre qu'il se peut que je fasse erreur ! Ce soir j'ai le coeur debordant de gratitude. Ce soir il se pourrait que je m'accorde une autre chance au sein de l'Eglise catholique.